Il y a des jours où mon cerveau ressemble à une coloc étudiante en fin de partiels : bordel généralisé, aucune règle, trois émotions qui hurlent en même temps dans la cuisine, et une obsession passive-agressive pour les listes qui ne seront jamais terminées.
J’ai été diagnostiquée borderline.
Un mot qui fait peur. Qui sonne comme une menace ou un aveu de folie.
Mais moi, je le vis comme un trop-plein. Un trop-plein que je commence à peine à apprivoiser.
Trop d’émotions, trop vite, trop fort. Une tornade d’attachement, de vide, de pensées obsessionnelles, d’envies de tout quitter ou de tout brûler pour sentir quelque chose de net.
Et entre deux rafales, un calme artificiel. Une sorte de vide fluo.
Quand j’ai lu “Dans mon cerveau comme à la maison”, je n’ai pas eu l’impression de découvrir une histoire.
J’ai eu l’impression de tomber sur une colocataire que je n’avais pas vue depuis des années. Une qui s’était planquée dans un coin de mon crâne avec un carnet et un feutre, et qui dessinait tout ce que je ne disais pas.
Le livre est un fil tendu entre l’humour et le vertige. C’est brut.
C’est dense. Ça parle de santé mentale, de surcharge sensorielle, de thérapie, de vide, de honte, de fatigue chronique. Mais ça n’essaie jamais de donner des réponses.
Cht.am dessine. Elle raconte. Elle ironise. Elle déconstruit l’idée même de cohérence.
Et moi, qui passe ma vie à m’auto-analyser comme un jeu de piste truqué, je me suis sentie enfin autorisée à juste... exister. Pas à comprendre. Pas à guérir. Juste à être là. Mal. Drôle. Triste. Vraie.
Ses dessins, souvent en noir et blanc, sont pleins de silences. Les bulles débordent d’autodérision.
On y croise une narratrice qui tourne en rond, qui veut aller mieux, qui fait des listes de trucs absurdes pour survivre à ses journées, et qui regarde la réalité avec ce regard mi-lucide, mi-lassé que je connais trop bien.
Elle parle du psy comme d’un repère flou, d’une parenthèse dans le chaos. Elle parle des ami·es qui s’éloignent, souvent sans aucune raison.
De l’envie de mourir sans le dire. Du décalage constant. Du corps qui crie sans mots. Des blagues qu’on fait pour ne pas crever.
Et moi, entre deux pages, je me suis surprise à rire. Pas parce que c’était drôle. Parce que c’était juste. Tellement juste que ça piquait.
Ce roman graphique ne cherche pas à faire joli. Il assume le fouillis. Il honore les contradictions. Il ne cherche pas à faire sens.
Il vit avec l’absurde. Et ça fait du bien, parfois, de ne pas devoir expliquer pourquoi on va mal. Pourquoi on pleure pour une banane trop mûre. Pour une chaussette enfilée à l’envers.
Pourquoi on veut que les autres nous aiment mais qu’on les fuit à la moindre faille. Pourquoi on se parle tout le temps, intérieurement, comme si on écrivait une lettre d’excuse au monde entier.
Dans mon cerveau comme à la maison ne m’a pas apaisée. Mais il m’a tendu une couverture mentale.
Une couverture râpée, un peu moche, mais chaude.
Le genre qu’on garde quand même, même si elle gratte un peu.
Parce qu’on s’y sent moins seule.
Parce qu’on s’y sent comme à la maison.