Pourquoi le concept de “vulgarité” est sexiste ?
l’origine du mot
Le mot “vulgaire” vient du latin vulgus : le commun du peuple. Pendant l’Antiquité, le mot “vulgaire” n’avait rien de péjoratif. Il signifiait “ce qui est répandu, partagé par tous”.
Au Moyen-Âge, le mot désigne la langue parlée par le peuple (comme les langues vernaculaires, par opposition au latin noble et raffiné des élites savantes). La vulgarité renvoyait déjà à une hiérarchie culturelle.
Avec l’essor de la bourgeoisie et la domination culturelle de l’aristocratie, “vulgaire” prend un sens négatif, qualifiant la “grossièreté”, l’ordinaire, sans raffinament.
C’est l’époque où les élites définissent ce qu’est le “bon goût”, l’étiquette, les manières de table, les codes vestimentaires. Sous l’influence de la morale bourgeoise, notamment victorienne, le terme s’applique fortement au comportement des femmes : une femme trop maquillée, sexualisée, expressive, “hors-normes” sociales bourgeoises et occidentales, devient “vulgaire”.
À partir du XIXème siècle, la “respectabilité” devient outil de distinction de classe et de contrôle des femmes.
le contrôle des femmes
C’est à partir du XIXème siècle que la bourgeoisie impose une morale de la respectabilité. Les femmes doivent incarner la retenue : pas trop de maquillage, de sexualité, de voix, d’importance. Toute transgression devient “vulgaire”
“Qu’est-ce qu’elle est vulgaire...”
Comme le montre Bourdieu (La distinction, 1979), le goût est une construction sociale. Ce que les classes dominantes qualifient “d’élégant” est en fait une manière de se différencier des classes “populaires”, moins aisées. Le terme cache un sexisme et un classisme profond.
Quand Adèle Exarchopoulos et Raphaël Quenard s’expriment, iels n’adoptent pas les codes du langage de la bourgeoisie parisienne. Elle est qualifiée de “vulgaire” alors que lui est “authentique”
le double-standard du langage
Le langage n’est jamais neutre : ce qu’un homme dit avec charisme, une femme le dira avec “vulgarité”.
Jean-Marie Bigard, Renaud, Serge Gainsbourg, Booba... utilisent le trash, le choc, un humour “cru” et populaire. Ils sont décrits comme “provocateurs, authentiques, “sans filtre”, percutants”.
Marie de Brauer et Cardi B en ont fait leur force. En se réappropriant les gros mots et la crudité, elles sont régulièrement qualifiées de “vulgaire”.
racisme, grossophobie et hypersexualisation
Plus ton corps s’éloigne des normes patriarcales et coloniales, plus tu deviens “vulgaire”.
Les femmes noires, arabes, asiatiques, les femmes grosses ou perçues comme “hors norme” sont jugées beaucoup plus vite comme vulgaires.
Leur corps est vu comme trop : trop sexuel, visible, dérangeant. Nicky Minaj, Cardi B, Sofia Vergara, Theodora, Nabilla Benatia sont hypersexualisées et réduites à leurs fesses ou à leur accent. Lizzo est critiquée pour ses tenues “indécentes”, là où une chanteuse mince serait célébrée comme audacieuse. Zahia est devenue le symbole de la “fille vulgaire” car elle incarne une sexualité populaire, accessible, hors des codes bourgeois.
Elles ne sont pas vulgaires, c’est le regard social qui construit leurs corps comme excessif.
un outil de la culture du viol
Dire qu’une femme est vulgaire à cause de ses vêtements, c’est dire qu’elle l’a bien cherché.
Une jupe courte, un décolleté, une parole crue deviennent des excuses toutes faites pour justifier le harcèlement ou les agressions. La culture du viol, c’est renverser la culpabilité sur les victimes et considérer que leur tenue, attitude ou langage expliquent les violences qu’elles subissent. Le mot vulgaire est une alerte sociale :
“Attention, cette femme mérite moins de respect, d’écoute, de protection, et c’est elle qui l’a choisi.”
Derrière chaque accusation de vulgarité, il n’y a pas un défaut des femmes, mais une peur de leur liberté.