L'histoire raciste de l'épilation corporelle
L’ÉPILATION, NORME HISTORIQUE ET SOCIALE
Aujourd’hui, l’immense majorité des femmes en France s’épilent régulièrement. Mais cette norme n’a rien de naturel : elle s’est construite à la fin du XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle, à un moment où l’hygiénisme, la médecine et les sciences raciales ont joué un rôle central dans la définition de la féminité.
Sous l’influence des théories eugénistes importées d’Europe et des États-Unis, l’absence de poils a été requalifiée en signe de progrès, de distinction sociale et de supériorité raciale.
La pilosité comme marqueur racial et social
Au XIXᵉ siècle, des médecins français comme Virey ou Broca participent à l’essor de l’anthropologie raciale et de l’évolutionnisme, reprenant la théorie de Darwin pour justifier des hiérarchies entre les peuples.
Dans cette logique raciste, la pilosité corporelle devenait un indicateur d’« animalité » ou de « dégénérescence », associé aux populations colonisées et racialisées, tandis que les femmes blanches devaient afficher un corps imberbe pour prouver la « civilisation » de la France face à ses colonies et affirmer la différence entre les sexes comme marqueur d’avancée et de supériorité.
La publicité et les magazines : imposer l’épilation comme norme
Avec l’essor des magazines féminins au début du XXᵉ siècle et la diffusion de publicités pour les premiers rasoirs ou crèmes dépilatoires (notamment avec la marque Veet dès les années 1920), l’absence de poils s’est imposée comme un signe de féminité « respectable ».
Dans le même temps, les femmes perçues comme « trop poilues », notamment les immigrées italiennes, juives ou d’Europe de l’Est, étaient stigmatisées et encouragées à s’épiler pour mieux «s’intégrer » dans une société française dominée par l’idéal anglo-saxon et bourgeois.
Les corps exposés : exotisme et contrôle social
Dans les expositions coloniales et les « spectacles ethnographiques », appelés parfois zoos humains, les corps féminins racialisés et poilus étaient montrés comme des curiosités primitives, renforçant l’idée que la « vraie femme » blanche et moderne devait être lisse.
Les zoos humains, répandus en Europe et en Amérique du Nord jusqu’aux années 1930-1940, justifiaient les hiérarchies raciales et le colonialisme. Au XXᵉ siècle, l’épilation est devenue un moyen de renforcer la distinction entre hommes et femmes et de contrôler les corps féminins (cf. les travaux de Elsa Dorlin).
Épilation obligatoire : norme sexiste et racialisée
Parmi les méthodes les plus radicales, l’électrolyse a été inventée à la fin du XIXᵉ siècle : cette technique consistait à détruire le follicule pileux à l’aide d’un courant électrique. Si elle est aujourd’hui réglementée et sûre, à l’époque elle a provoqué de nombreuses blessures et même des décès, notamment chez les femmes immigrées ou jugées « trop poilues », qui étaient poussées à l’adopter pour se conformer aux standards de beauté.
choisir librement son corps
Aujourd’hui encore, les femmes qui choisissent de ne pas s’épiler en France subissent moqueries, sanctions sociales ou stigmatisation, comme l’ont montré des enquêtes récentes du collectif Liberté Pilosité Sororité. Nous devons en finir avec l’idée que féminité = absence de poils.
Les poils n’ont pas de genre : qu’on choisisse de les garder ou de les enlever ne devrait jamais déterminer la valeur ou la respectabilité d’une personne.