Et si on prenait enfin les enfants au sérieux ?

Pourquoi parler d’infantisme ?

“Faire l’enfant”, “infantile”, “puéril”... difficile de nier les connotations négatives que nos regards d’adultes associent à l’enfance.
Dans notre société, l’enfant est perçu comme un être “en devenir”, inachevé, et donc moins légitime que l’adulte.

La pédopsychiatre Laélia Benoît, dans son ouvrage Infantisme (Seuil, 2024), propose d’explorer ce biais collectif : et si le regard dévalorisant porté sur les enfants était une forme de domination structurelle comparable à celles du patriarcat ou du racisme ?

L’infantisme, c’est la croyance que les enfants sont naturellement inférieurs aux adultes, moins rationnels, moins dignes de parole, moins capables de savoir ce qui est bon pour eux.

D’où vient le concept ?

Le mot “infantisme” naît aux États-Unis dans les années 1970, dans un contexte de luttes sociales : féminisme, droits civiques, mouvements LGBTQI+, luttes antiracistes.

Des penseuses comme Elizabeth Young-Bruehl (Childism, 2012) théorisent ce qu’elles observent :
- Les enfants sont systématiquement considérés comme des “autres” à contrôler, corriger ou punir.
- Les violences qu’ils subissent sont perçues comme des “faits divers” plutôt que comme un phénomène politique.

Comme le rappelle Laélia Benoît :

“Dès lors que nous identifions le caractère collectif du problème, nous devons examiner le rôle que nous jouons, souvent à notre insu, dans le maintien de ce statu quo délétère.”

Quand le patriarcat fabrique l’adultisme

L’adultisme — ou domination des adultes sur les enfants — s’inscrit dans la logique patriarcale : contrôle des corps, hiérarchisation des savoirs, culture de l’autorité.

L’enfant, comme la femme ou la personne racisée, est assigné·e à un rôle de docilité et de dépendance.
On exige son obéissance, on minimise sa parole, on valorise la “bonne éducation” plutôt que l’autonomie.

Les injonctions répressives actuelles — retour des uniformes scolaires, Service National Universel (SNU), time-out éducatif — témoignent d’un retour de la discipline comme valeur sociale.
L’enfant n’est pas un sujet politique, mais un futur citoyen à modeler.

Une violence ordinaire et systémique

Les chiffres sont accablants :
-En France, 1 enfant sur 10 subit des violences sexuelles avant 18 ans (Commission indépendante sur l’inceste, 2023).
- 75 % des enfants déclarent avoir vécu au moins une forme de violence éducative ordinaire (gifles, cris, humiliations).
- Et 1 enfant meurt tous les 5 jours sous les coups de ses parents (ONPE, 2022).

Ces violences ne sont pas isolées. Elles traduisent une culture de la domination adulte, où l’enfant est perçu comme un objet d’éducation, de propriété, voire de punition.

L’Observatoire de la violence éducative ordinaire (OVEO) rappelle :

“Les violences faites aux enfants ne sont pas des dérapages : elles sont le produit d’un système qui refuse aux enfants le droit d’être des personnes à part entière.”

Résister à l’adultisme : donner la parole aux enfants

Certaines initiatives proposent de renverser la logique.
En Belgique, l’association Garance a lancé le programme CAP (Child Assault Prevention), créé il y a 40 ans aux États-Unis.

Objectif : donner aux enfants des outils concrets d’autodéfense face aux violences physiques, verbales ou sexuelles, tout en accompagnant les adultes à mieux les soutenir.

Dans l’épisode d’Un podcast à soi (8 mars 2023), on entend des échanges puissants entre enfants et adultes : comment dire non, comment se défendre, comment se soutenir.
Parce que les droits des enfants sont indissociables des droits des femmes, et que la domination adulte fait partie intégrante du patriarcat.

Et si on prenait les enfants au sérieux ?

Prendre les enfants au sérieux, ce n’est pas “les traiter comme des adultes” — c’est reconnaître leur compétence, leur lucidité et leur dignité.

L’écrivaine Mai Lan Chapiron (Le Loup, 2021) l’exprime ainsi :

““Je me suis rendue compte que les enfants n’étaient pas informés. Moi, ça m’a pris des années à comprendre que c’était grave. J’avais envie de dire aux enfants : ‘Oui, c’est grave.’ Et aux parents : ‘Oui, il faut les prendre au sérieux.’ Un enfant qui est victime et qui lit ces livres, il comprend, il identifie ce qui lui arrive.”

Écouter les enfants, c’est aussi repenser nos institutions : école, justice, famille, médias.
C’est admettre que l’enfant est un acteur social et politique, porteur d’un savoir sur le monde que les adultes ont souvent désappris.

Le mouvement enfantiste : un appel à la justice

France, les chiffres sont insoutenables :
- 18 enfants violé·es chaque heure
- 200 enfants maltraité·es chaque jour
- 1 enfant meurt tous les 5 jours sous la violence parentale.

Face à cette réalité, le Collectif Enfantiste appelle à reconnaître l’adultisme comme un système de domination.
Il met en lumière le continuum des violences faites aux enfants — du mépris quotidien aux abus les plus graves — et milite pour une émancipation politique de l’enfance.

Prendre les enfants au sérieux, c’est transformer la société tout entière.

Ressources et références

Ouvrages :

  • Laélia Benoît, Infantisme, Éditions du Seuil, 2024.

  • Elizabeth Young-Bruehl, Childism: Confronting Prejudice Against Children, Yale University Press, 2012.

  • Catherine Gueguen, Vivre heureux avec son enfant, 2018.

  • Mai Lan Chapiron, Le Loup, La Martinière Jeunesse, 2021.

  • Elsa Dorlin, Se défendre, Zones, 2017.

Ressources militantes et pédagogiques :

  • Un podcast à soi, épisode “L’autodéfense des enfants”, Arte Radio, 2023.

  • Association Garance Belgique & programme CAP (Child Assault Prevention).

  • Collectif Enfantiste — @collectifenfantiste.

  • OVEO (Observatoire de la Violence Éducative Ordinaire).

  • Commission indépendante sur l’inceste et les violences faites aux enfants (Ciivise).



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