Spoiler : Le ski, c’est pas un sport populaire.

Chaque hiver, les réseaux se remplissent de stories de montagnes, de gants colorés et de vin chaud au soleil. Pour certain·es, partir au ski fait partie de la routine : une tradition familiale, presque une évidence.
Mais pour la grande majorité, ce décor blanc et “revigorant” reste une carte postale inaccessible.
Et si le ski n’était pas un simple loisir, mais un marqueur de classe sociale ?

le ski, c’est un privilège de classe

Parce que pendant que certain·es “décompressent” à Courchevel, d’autres comptent les jours de congé qu’ils peuvent vraiment se payer.

aller au ski demande un certain capital économique. C’est en moyenne :

  • 1 Forfait semaine / adulte : 300€ min

  • Location matériel / semaine : 120€ min

  • logement pour 4 / semaine : 1000€ min

  • le trajet, l’essence

  • les leçons de ski

  • les repas (8€ le coca, 20€ le repas)

  • les congés à poser

  • etc etc etc

En moyenne, une famille de 4 doit débourser entre 2 500€ et 3 500€ pour 7 jours de poudreuse.

“mais tout le monde peut aller au ski, faut juste trouver les bons plans et s’organiser à l’avance”

traduction :

“j’ai tellement grandi dans le confort que j’en ai oublié le prix des choses”

En réalité, seul.e.s 13% des français.e.s vont au ski. Dans ces 13%, la majorité y va une semaine tous les 2 ou 3 ans. Pour une famille de classe moyenne, c’est un mois de salaire net. Pour d’autres, c’est juste le prix “normal” d’un bol d’air frais.

Ce n’est pas la “norme”, c’est un entre-soi social bien huilé.


Le ski, c’est pas qu’un sport, C’est une pratique de distinction . On y retrouve :

  • des classes supérieures urbaines,

  • Des cadres, professions libérales,

  • Une majorité blanche,

  • Et des gens qui ont grandi avec cette habitude

Ce n’est pas un hasard : c’est un marqueur culturel de “bonne naissance”.

C’est une question d’habitude : quand tu grandis en skiant tous les hivers, tu trouves ça naturel. En réalité, tu construis un habitus (c’est à dire des réflexes sociaux, un comportement appris inconsciemment) de classe qui te permet d’être à l’aise, de te sentir à ta place dans cet environnement.

Historiquement, le ski n’a jamais été populaire.
Né au XIXᵉ siècle dans les élites européennes, il s’est d’abord développé comme un sport mondain avant d’être industrialisé par le tourisme d’après-guerre.
Même quand les stations se sont “démocratisées”, leur fonctionnement économique a maintenu une forte ségrégation sociale : prix, localisation, marketing, et entre-soi.

Le sociologue Christian Pociello (1981) l’a montré : les pratiques sportives se répartissent selon la position sociale. Les classes supérieures privilégient les sports individuels de nature — golf, voile, ski — qui incarnent le contrôle, la distinction et la rareté.

Autrement dit, on ne va pas “juste” skier : on performe une appartenance.
Les marques portées, les stations fréquentées, la manière d’en parler à son retour… tout cela signale un capital économique, culturel et social.

Le ski, c’est la montagne transformée en scène de classe.

Au-delà du prix, il y a ce qu’on appelle les barrières symboliques.
Elles ne sont pas visibles, mais elles freinent tout autant :

  • Le langage : savoir comment s’équiper, où aller, quels mots utiliser (“forfait”, “chalet”, “remontées mécaniques”) ;

  • Les codes vestimentaires et comportementaux : se sentir “à sa place” ;

  • Le réseau social : avoir des proches qui partent, qui t’invitent, qui t’initient ;

  • La représentation médiatique : les campagnes publicitaires ou les influenceur·euses du ski représentent une France blanche, aisée, souvent masculine.

Résultat : pour beaucoup, la montagne n’est pas un espace neutre.
Elle peut sembler intimidante, voire excluante, parce qu’on n’y a pas été socialisé·e, parce qu’on ne s’y voit pas représenté·e.

Des travaux anglo-saxons (NSAA, 2021 ; Rinehart, 2015) ont d’ailleurs montré que la pratique du ski est massivement blanche et aisée : plus de 85 % des skieur·euses aux États-Unis se déclarent blancs, et la majorité appartient aux 20 % les plus riches.

Le ski comme “vacance légitime”

Dans l’imaginaire collectif, “prendre des vacances au ski”, c’est se “ressourcer”, “respirer le bon air”.
Ce vocabulaire valorisant participe d’un processus de légitimation symbolique : certaines manières de se reposer deviennent “nobles” (ski, randonnées, nature), d’autres “populaires” voire “vulgaires” (plage bondée, séjour en camping, télévision).

Là encore, on retrouve le schéma décrit par Bourdieu dans la distinction : les classes dominantes imposent leurs goûts comme des évidences universelles, tout en dévalorisant les loisirs populaires.

Alors que pour beaucoup, les vraies vacances consistent simplement à se reposer sans perdre d’argent.

Le ski au prisme du genre et de la race

L’accès aux loisirs n’est pas seulement une question de classe : il est aussi genré et racialisé.
Les femmes, en particulier les mères, ont souvent moins de temps libre et une charge mentale accrue : les congés servent à s’occuper des enfants, pas à “déconnecter”. les personnes racisées se retrouvent sous-représentées dans les milieux montagnards, où l’entre-soi blanc et bourgeois est encore très fort.

Les chercheur·euses en cultural studies (Spracklen, K. 2013 ;  Harrison, A. K. 2013),  parlent de “blanchité des sports de nature” : des espaces où la couleur de peau, la classe et la culture définissent la légitimité de la présence.

En résumé 

Le ski n’est pas qu’un sport, ni qu’un loisir. C’est un symbole social, une pratique qui concentre toutes les dimensions de l’inégalité :

  • économique (coût, logement, transport),

  • culturelle (codes, langage, capital culturel),

  • symbolique (valeurs associées au “bon goût”),

  • raciale et genrée (représentation, accessibilité).

Ne pas partir au ski n’a donc rien à voir avec la flemme ou le manque d’envie : c’est juste la preuve que toutes les montagnes ne sont pas accessibles à tout le monde.

Et c’est exactement pour ça qu’en parler, c’est politique.

Reconnaître que le ski est un privilège, ce n’est pas culpabiliser celleux qui y vont, c’est voir le décor social derrière les pistes

Ressources et références : 

  • Bourdieu, P. (1979). La Distinction : Critique sociale du jugement. Paris : Les Éditions de Minuit.

  • Pociello, C. (1981). Sports et société : approche socioculturelle des pratiques sportives. Paris : Vigot.

  • Darbon, S. (1999). Sociologie du sport. Paris : Presses Universitaires de France.

  • Schirrer, A. (2019). “Le ski, entre distinction et démocratisation : pratiques sportives et classes sociales.” Revue française de sociologie, 60(3), 457-483.

  • Statista. (2024). Part des Français·es pratiquant le ski.

  • Vacanceole. (2024). Quel budget prévoir pour une semaine de vacances au ski ?

  • Spracklen, K. (2013). Whiteness and Leisure. London : Palgrave Macmillan.

  • Harrison, A. K. (2013). “Racial segregation in the social and physical space of ski slopes: implications for disparities in access to nature.” Journal of Sport & Social Issues, 37(4), 315-339.

Suivant
Suivant

Et si on prenait enfin les enfants au sérieux ?