la pureté militante : un fléau de nos luttes

c’est quoi ?

La pureté militante, c’est une logique dans laquelle l’engagement politique exige d’être irréprochable : sans erreur, sans contradiction, sans lacune. C’est l’idée que, pour “mériter” de faire partie de la lutte, il faut incarner parfaitement les bons discours, les bonnes terminologies, les bons gestes. Cela se traduit par des normes internes fortes : “tu as dit ceci, tu as fait cela, alors tu n’incarnes pas correctement le mouvement”. C’est fatiguant.

En sociologie, ce phénomène se rapproche de ce que l’on appelle un “purity spiral” : une dynamique de “surenchère morale” où les membres d’un groupe cherchent à démontrer qu’iels sont “plus pur.e.s” que les autres, générant hiérarchie, exclusion et division.

Source : Campbell, B. K., & Manning, J. (2018). The rise of victimhood culture: Microaggressions, safe spaces, and the new culture wars. Palgrave Macmillan

Des conséquences contre-productives

Quand le militantisme devient un terrain d’exigence de pureté, cela crée des espaces où les personnes hésitent à participer, à prendre la parole, à faire des erreurs.

Résultat : Au lieu d’élargir la lutte, on la restraint.

Certaines critiques de la part de militant.e.s elleux-mêmes soulignent que la logique de pureté renforce des normes occidentales, blanches, élitistes, qui ne tiennent pas en compte des expériences des personnes racisées, queers, non-françaises, ou peu éduquées universitairement.

Une étude américaine a par ailleurs montré que la posture de “victime parfaite” comme la posture de “militant.e parfait” fonctionne moins bien pour les personnes noires ou racisées, car les logiques de “pureté sexuelle” ou “innocence morale” sont racialement codées.

SOURCe : Zimmerman, Y. C. (2023). Learning from Black Lives Matter: Resisting purity culture in US antitrafficking. Religions, 14(4), 430.

la performance militante

La pureté militante a pour effet insidieux de déplacer le centre de gravité du militantisme : au lieu de concentrer les efforts sur les causes systémiques (racisme, lgbt+phobies, validisme...), elle enferme la lutte dans un travail incessant de polissage symbolique.

Autrement dit, l’attention des militant.e.s se déporte du fond pour se porter sur la forme.

Les sociologues Bradley Campbell et Jason Manning expliquent que dans nos espaces militants ou en ligne, il devient parfois plus important de montrer qu’on est du bon côté que de changer réellement les choses. Du coup, on s’épuise à prouver qu’on est “déconstruit.e”, au lieu d’agir collectivement contre les injustices.

source : Campbell, B. K., & Manning, J. (2018). The rise of victimhood culture: Microaggressions, safe spaces, and the new culture wars. Palgrave Macmillan.

ce glissement vide la lutte de son énergie. et il crée une peur constante de mal dire ou mal faire, alors qu’apprendre, se tromper, et évoluer, fait partie de tous les parcours militants.

le droit à l’erreur

Dans les espaces militants, l’erreur peut devenir une faute impardonnable.

Quelqu’un.e fait une erreur > Iel est dénoncé.e publiquement > Iel disparaît du groupe.

C’est ce qui est plus communément appelé un “call-out” : on expose un erreur, sans forcément l’expliquer ou l’accompagner.

Si le call-out peut s’avérer très utile comme alternative à la justice (dans le cas de VSS par exemple), il peut être utilisé à tort pour dénoncer des erreurs ou des maladresses dans la pratique du militantisme dans une logique “d’hyper-vigilance puriste”.

une atmosphère où tout le monde a peur de se tromper. Pourtant, personne n’apprend de la peur. On ne construit rien de durable en excluant toustes celleux qui se trompent en chemin.

La théologienne Yvonne C. Zimmerman montre d’ailleurs que cette logique a toujours servi à éloigner les personnes jugées “imparfaites” (souvent les plus socialement marginalisées).

Au contraire, il faut créer des espaces de réparation, où l’on peut parler, apprendre et grandir ensemble.

source : Zimmerman, Y. C. (2023). Learning from Black Lives Matter: Resisting Purity Culture in US Antitrafficking. Religions, 14(4), 430.

ON NE FAIT PAS UNE RÉVOLUTION QUAND ON EST PARALYSÉ.E PAR LA PEUR D’AGIR

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