quand la critique du patriarcat heurte l’intime

Parfois, une critique féministe est reçue comme une attaque contre nous ou contre nos proches. On se sent attaqué.e.s dans notre identité, notre comportement, nos goûts intimes.

En réalité, la critique concerne en fait un système social bien plus grand : le patriarcat.

les alliances intimes, c’est quoi ?

La sociologue Christine Delphy et la philosophe Monique Wittig expliquent que le patriarcat n’est pas seulement une idéologie (une “idée générale”), mais un système qui vit dans nos relations proches : amoureuses, amicales, familiales. Nos alliances intimes (nos amours, loyautés, attachements) peuvent rendre les critiques difficiles à entendre. Parce qu’elles touchent des personnes qu’on aime ou nous-mêmes, ce qui brouille la réception de l’analyse.

Conséquences ?

Quand une critique féministe met en lumière une dynamique patriarcale, elle peut être entendue comme une critique d’une identitié, ou d’un choix amoureux. Alors qu’en fait, la critique vise les structures sociales, pas les personnes.

Mais nos loyautés affectives et nos identifications intimes brouillent la réception :

  • Si on aime quelqu’un qui correspond au comportement décrit, on peut se sentir visé.e

  • Si on se reconnaît dans une identité liée au sujet, on peut croire que la critique attaque cette identité.

Résultat : ce qui est pensé comme une analyse d’un système est vécu comme une attaque contre soi.

les identités et les normes

Judith Butler, philosophe féministe américaine des 1990s, a montré comment le genre et la sexualité ne sont pasnaturels”, mais produits de normes sociales.

Nos identités et orientations sexuelles et romantiques sont façonnées par un cadre normatif.

Du coup, quand une critique féministe vise ces normes, certaines personnes peuvent se sentir attaquées dans leur identité.

Rappel : le but du féminisme n’est pas de juger ou de “sortir des normes à tout prix”, mais plutôt de les déconstruire et les comprendre pour les rendre visibles, et anticiper de potentielles violences systémiques.

les alliances intimes

Christine Delphy, sociologue française, cofondatrice des Cahiers du féminisme, explique que le patriarcat n’est pas une idée abstraite, il s’incarne dans nos relations quotidiennes.

Nos amours, nos loyautés, nos familles sont traversées par ce système. Christine Dely parle “d’alliances intimes” : ces liens affectifs qui nous attachent à des personnes, même quand elles bénéficient de privilèges patriarcaux.

La féministe trouble-fête

Sara Ahmed, philosophe et militante queer et féministe, autrice de The Feminist Killjoy, décrit la figure de la féministe trouble-fête.

Quand une féministe nomme une violence ou un rapport de pouvoir, elle est directement accusée de “casser l’ambiance” d’être “trop négative”, “radicale”, voire d’être “agressive”. Mais en réalité, elle ne fait que révéler ce qui était déjà présent, mais qu’on préférait ne pas voir.

Pour les femmes noires, cette posture est douloureusement amplifiée par le misogynoir. La société associe leur colère ou leur critique au stéréotype de la “femme noire colérique”, caricature sexiste et raciste, théorisée par Moya Bailey dans Misogynoir Transformed

Les réactions défensives

En psychologie sociale, des chercheuses comme Susan Fiske (1993) et Amy Cuddy (2008) ont étudié comment les gens réagissent quand un proche ou un groupe d’appartenance est critiqué.

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